Chap 4: Mon anniversaire

« Comprendre ce qui nous lie »

C’est maintenant devenu une de mes routines préférées. Lorsque j’ai la chance de pouvoir venir visiter la colonie d’abeilles, je m’amuse à me voir comme dans un conte de fées, entre le Livre de la jungle et un Alice au pays des merveilles. Je me rends compte que mon imaginaire et ma réalité ne sont alors pas si éloignés. Ce voyage dans mes pensées m’aide à mieux comprendre la réalité et à observer les liens qui lient l’homme à la nature.

Il est fascinant pour moi d’utiliser mon imaginaire pour me permettre de discuter avec ma grand-mère qui n’est pourtant plus là depuis de nombreuses années. Si j’arrive à le faire avec elle, je peux aussi me permettre de rencontrer tous mes aïeux. En commençant par les parents des mes grands-parents que pour certains je n’ai pas connu. En moi existe quelque chose qui a traversé toutes les générations qui m’ont précédé. J’ai appris dans mes cours de SVT au collège et au lycée la magie de la fécondation. Vous savez, ses brins d’ADN issuent de nos parents et qui vont former cette première cellule. Les brins d’ADN traversent les âges, ils ont inventé ce qu’est l’éternité. C’est peut être parce qu’il existe ce lien entre toutes ces générations que j’arrive à construire cette image de ceux qui m’ont précédé. Si je remonte encore un peu plus loin dans mon arbre généalogique, j’y rencontre des hommes et des femmes qui ont inventé leur vie. Encore plus loin je vois  des individus qui ne me ressemblent plus beaucoup, ils ne parlent pas la même langue que moi, je ne les reconnais pas vraiment. Ils descendent de mammifères assez différents de ce que je suis. Je remonte encore le temps, et mes aïeux sont alors des êtres venus de l’eau. Tous ont rencontré un partenaire avec qui ils ont transmis la vie. Avant ces premiers animaux, des cellules se sont dédoublées, des molécules se sont regroupées et j’arrive maintenant  jusqu’à cette énergie initiale qui nous relie tous. Ce big bang est présenté comme le début de tout ce que nous connaissons. Nous serions tous issus de cette première énergie. Dans chacun d’entre nous, nous portons cela.

« C’est notre lien malgré nos différences » 

J’ai pu appréhender cette idée en lisant Le livre du Voyage de Bernard Werber. Imaginer cela, fait de ces abeilles des membres à part entière de ma famille.

Même si je commence à comprendre que je ne suis que le prolongement, la continuité d’un commencement qui est bien plus vieux que ma naissance, l’anniversaire que je fête ici est l’occasion de partager un moment agréable avec ceux que j’aime.

Je me rends bien compte que le monde n’est plus comme avant. Je ne parle pas du temps où les abeilles sont arrivées sur terre, pas du tout, mais bien de ce que le monde était lorsque j’étais petit. Les changements se sont accélérés avec notre capacité à le traverser de plus en plus vite. Depuis que l’homme est homme, il a voyagé, conquis la terre. Au début à pied puis à cheval et après de plus en plus vite, en voiture en avion, il se déplace même maintenant à travers le monde sans bouger de chez lui. 

Avec lui le monde change. Je suis tenté de penser qu’il serait bon de revenir en arrière. Revenir là où nous étions arrivés avant que l’on décide de faire de nos parcelles de culture, des champs à perte de vue. De revenir dans ce monde où les coquelicots se permettaient de pousser dans les champs de blé. Penser à cela m’amène à me confronter à tous ceux dont les intérêts seraient mis en danger s’il était envisagé de redistribuer la terre aux paysans. Il faudrait alors que les industriels de l’agriculture laissent la place à ceux qui nourrissent le monde en protégeant la vie de leurs sols.

Le combat est déjà perdu d’avance et pourtant je ne renonce pas. Aujourd’hui, une armée de butineuses n’est pas revenue au châtaignier. Elles se sont retrouvées dans un champ  à butiner des fleurs contaminées. Normalement elles savent faire la différence entre un champ contaminé et un sain. Mais aujourd’hui il ne restait plus que lui pour trouver de la ressource. N’ayant pas le choix entre ce qui est bon pour elles et ce qui ne l’est pas, elles se sont empoisonnées.

Je le constate aujourd’hui, aucune butineuse ne rentre à la maison. Soit je continue à rêver et à observer ou bien je me donne la chance de faire quelque chose

Si nous sommes liés les uns aux autres comme je le crois, l’abeille sera ma sentinelle et elle est en danger. Ce que je vois m’ouvre la possibilité de voir ce qui est invisible. Comme le déclin des pollinisateurs. J’ai entendu dire que dans d’autres pays que le mien, des abeilles sont chargées de polliniser des champs entiers sans autre issue que de mourir pour ce travail. 

C’est mon anniversaire et je prends conscience de mon lien privilégié que je noue avec ces abeilles et de la chance folle d’être un humain qui peut faire quelque chose. 

Je croise les doigts pour que les butineuses qui ne sont pas rentrées chez elles ne compromettent pas la survie de la colonie du châtaignier pour l’hiver qui arrive.

Je vais profiter de cet automne pour bâtir un plan pour que chacun puisse améliorer sa condition humaine dans le monde dans lequel nous évoluons. Ce plan ne parlera pas d’intérêt financier, ni de pouvoir, ni de lutte, il devra parler au cœur des femmes et des hommes. Ce plan devra être à l’image des abeilles, mes inspiratrices. Ces êtres au service de la vie. Elles permettent aux plantes de se reproduire et c’est aussi pour cela qu’elles sont des êtres d’amour. C’est sûrement pour cela que je me sens si bien à leur côté.