Chap 5: Le pari de la colonie

« Dans l’obscurité se joue l’avenir »

À l’abri, être à l’abri, entre nous, les unes contre les autres, au chaud, loin du froid. Certaines d’entre nous sont malades. La tâche des nettoyeuses est de les accompagner loin de notre maison et de rendre sain ce qui ne l’est pas. Chaque individu de la colonie a une personnalité qui lui est propre. Et pourtant. Le bien de la colonie prime sur tout le reste au détriment d’une entité qui la constitue, pour le bien commun. C’est dur, bien sûr, de perdre une sœur. J’ai vu de mes propres yeux certaines des malades quitter le nid. D’elle-même pour ne pas risquer de contaminer les autres. On fait ce que l’on peut.

On a pour nous des remèdes. La propolis que l’on utilise dans notre quotidien est un élément clef. C’est un antibiotique puissant que l’on va chercher sur les plantes, il nous protège. Il y a des limites à sa protection mais il est redoutable et même indispensable pour nous.

Une nouvelle génération vient de naître et dit au revoir à l’ancienne. Nous devons tenir bon tout l’hiver sur les réserves que nos aînées ont accumulées pour nous permettre de tenir. Elles ont travaillé si dur et accumulé des réserves, non pas pour elles, mais bien pour nous.

L’hiver est crucial, on en a traversé des rigoureux, des longs, des humides, des secs, des doux, même un peu trop chauds parfois, l’hiver qui vient ne devrait pas être le dernier, même si certaines de nos sœurs aînées ont subi de lourdes pertes la saison dernière. Mais j’ai bon espoir. Notre mère est vigoureuse, elle a su pondre de façon raisonnée pour nous permettre d’être assez nombreuses pour assurer la transition. Nous les abeilles d’hiver sommes dotées de pouvoirs. Moi je vais vivre plus de 4 fois plus longtemps que mes sœurs ainées qui ont travaillé cet été. Je vais vivre 130 jours. C’est comme si le petit frère de cet être humain qui vient nous visiter allait vivre 350 ans. C’est pour cela que je crois bien qu’en tant qu’abeille d’hiver j’ai un super pouvoir. J’aurai aussi l’honneur et le devoir d’aller butiner au printemps le premier nectar et surtout les premiers pollens qui seront nécessaires à la reprise de l’expansion de notre groupe. Notre clan va essaimer comme chaque année. Mais pour l’instant il faut être concentré sur notre tâche. Le maintien de la température est primordial. Qu’il fasse froid dehors nous importe peu, mais durant cette période nous allons hiverner. Notre activité va essentiellement être tournée vers la production d’énergie pour maintenir cette température entre 15 et 35 degrés à l’intérieur de notre grappe. 

Moi je fais partie de ce clan, je le sens. L’odeur de ma colonie ne ressemble à aucune autre. C’est mon chez moi. j’y suis bien. Je suis respectueuse de cet ensemble. Par rapport aux géants que je croiserai plus tard on parait si petite. Et pourtant nous, on n’a peur de rien. On est concentré sur ce que l’on a à faire. La seule peur, notre seul stress qui se transmet de génération en génération est celle de ne pas pouvoir faire notre travail, ce qui nous permet de vivre. Nous ne vivons pas pour travailler, nous travaillons pour vivre et permettre à nos petites sœurs de grandir. Ainsi de suite, nous traversons les âges.

Les humains nous vénèrent depuis très longtemps. Certains nous exploitent,  ce qui a fragilisé beaucoup d’autres clans dans le passé et encore aujourd’hui. En fait, nous avons un lien avec notre environnement et dans cet environnement se côtoient la vie. Certains animaux raffolent de notre trésor. Notre miel. Il y a des dangers innombrables autour de nous et nous, nous restons focus sur notre survie comme toutes les espèces vivantes (ou presque) de cette Terre qui nous abritent. Je fais écrire ces mots pour un humain. Nous nous ne laissons que la trace de notre passage en étant le témoin vivant que des générations se sont succédées avant nous et je charge cet humain d’écrire l’histoire de notre vie que nous partageons avec lui.